Canada – En six jours, la vie de Mohammad Ehsan Saadat et de sa famille a basculé. Le temps de remplir une demande d’asile pour le Canada et de fuir l’Afghanistan juste avant la prise de Kaboul par les talibans. Depuis, ce chercheur se répète à quel point il est “chanceux” mais “pleure” pour tous ceux restés sur place.
“Depuis début juillet je pensais que le pays allait tomber mais Kaboul, cela me semblait impossible”, raconte encore sous le choc ce réfugié afghan installé à Toronto depuis le 8 août.
Sous les yeux médusés de la communauté internationale, dans une avancée éclair, les talibans sont entrés dans la capitale afghane dimanche et ont repris le pouvoir. Le Canada avait commencé depuis quelques jours à évacuer des Afghans qui avaient travaillé pour lui.
C’est fin juillet que celui que tout le monde appelle Ehsan découvre sur Facebook le programme d’immigration canadien pour les Afghans.
Dans les provinces gagnées par les talibans, “les gens qui avaient travaillé avec les organisations internationales étaient recherchés”, explique à l’AFP ce père de famille de 33 ans, en anglais par visioconférence. Il se trouve avec sa famille dans un hôtel pour deux semaines de quarantaine –imposée par le Canada en raison de la pandémie de Covid-19.
Ses recherches ces onze dernières années “sur la corruption, les droits des femmes, les droits humains” pour des organisations internationales ont fait de lui une cible pour les talibans, souligne-t-il.
Quand la réponse positive du gouvernement canadien tombe, il a du mal à se rendre compte puis tout va très vite. “C’était incroyable”, s’exclame-t-il.
Deux jours plus tard, il monte dans l’avion avec sa femme et ses quatre enfants âgés de deux à onze ans. “Nous étions très, très excités”, se souvient-il. Dans leurs valises, en dehors de quelques “vêtements traditionnels”, peu de souvenirs de leur vie afghane.
“Parfois je me tiens debout devant la fenêtre et je réalise à quel point je suis chanceux de ne plus être en Afghanistan maintenant”, ajoute l’homme aux cheveux bruns coupés courts et à la barbe naissante.
«Avenir sombre»
Mais il est vite rattrapé par les craintes pour le reste de sa famille: plusieurs de ses neuf frères et soeurs vivent toujours dans la capitale afghane. “Hier (lundi) j’avais peur que les Etats-Unis commencent à bombarder Kaboul à cause de la situation à l’aéroport”.
“J’ai vu tous les gens à l’aéroport. J’ai pleuré”, confie-t-il. “Pourquoi n’avons-nous rien appris des Etats-Unis et de la communauté internationale, qui ont été là pendant presque vingt ans?”, déplore-t-il.
“L’avenir est sombre pour l’Afghanistan. Quand j’ai écouté l’annonce du président (américain Joe) Biden, je me suis dit que la communauté internationale ne voulait plus nous aider”, affirme ce titulaire d’une maîtrise, découragé.
“Peu optimiste” pour le futur de son pays, le réfugié aimerait voir la Russie, la Chine, l’Inde, le Pakistan et l’Iran collaborer pour “aider l’Afghanistan” et “sauver le développement et les accomplissements des vingt dernières années”.
Quand il est soudain rejoint par ses enfants et sa femme, il explique tout sourire qu’il a enfin pu leur expliquer qu’ils vivaient maintenant “dans un pays sûr”. “Finis les explosions, les attaques-suicide, les bombardements!”
A leur sortie de quarantaine la semaine prochaine, la famille afghane va emménager dans un appartement payé par le gouvernement fédéral. Ensuite, ce sera la rentrée des classes pour les enfants.
Il rêve maintenant que ses trois filles et son fils “se concentrent sur leur éducation”. Aucun ne parle anglais ou français pour l’instant, les deux langues officielles du Canada. Sa femme a hâte d’étudier l’anglais et d’apprendre à conduire.
De son côté, il espère trouver un emploi pour mettre à profit ses compétences de chercheur, peut-être dans une institution universitaire.
Mais il n’écarte pas la possibilité de lui-même reprendre des études, “une maîtrise en résolution des conflits”.