Irak – Sous les encouragements de leur entraîneur Joanne Youssef Chaba, une vingtaine d’adolescentes en dossards fluo s’échauffent et se passent la balle. Dans la bourgade chrétienne de Bartalla, ancien bastion jihadiste en Irak, le football féminin commence à se faire une place.
Grâce aux financements d’une ONG locale, le terrain en gazon synthétique a été installé près d’une église de cette petite ville du nord de l’Irak, située à une dizaine de kilomètres seulement de Mossoul et sous contrôle du groupe Etat islamique (EI) de 2014 à 2016.
Libérées du joug jihadiste, les quelque 1 500 familles ayant fait le pari du retour à Bartalla tentent de restaurer un semblant de normalité. Comme l’illustre l’Académie de football féminin, qui a ouvert ses portes il y a six mois et qui bouscule la société irakienne ultra-conservatrice.
“Ici on fait tout nous-mêmes pour apprendre aux jeunes filles les bases du football”, confie Joanne, 22 ans, arrivée à l’entraînement à vélo.
Le rêve de cette jeune diplômée en éducation physique est de “fonder une équipe féminine qui participera à des compétitions à l’avenir”.
Sur le gazon flambant neuf, les jeunes footballeuses enchaînent les étirements. Elles font le tour du terrain en trottinant, tout en faisant des moulinets avec les bras. Les plus petites nagent dans des dossards oranges trop grands pour elles.
Joanne siffle le début d’un match. Quelques passes, une joueuse de l’équipe orange s’empare du ballon et remonte en longueur le terrain de 40 mètres. Elle tire… et le ballon rebondit sur le poteau.
«Manque de soutien»
“Les moments que nous passons ici nous font oublier d’autres plus difficiles”, ajoute Joanne qui avait fui Bartalla en 2014 avec sa famille pour trouver refuge à Erbil, deux heures à peine avant l’arrivée des jihadistes.
“Aujourd’hui quand les gens nous voient, ils ressentent de l’espoir et de la confiance”.
Récemment diplômée, elle recherche un emploi. “Ici on oublie un peu les soucis du quotidien”.
Une cinquantaine de filles, âgées entre 10 et 15 ans, sont inscrites à l’Académie pour suivre deux fois par semaine un entraînement de deux heures.
Miral Jamal avait six ans quand elle a quitté Bartalla avec sa famille pour échapper aux jihadistes. A 13 ans, elle est aujourd’hui passionnée de football.
“Ici les joueuses se sentent bien”, assure la collégienne. “Le football ça nous soulage du fardeau de l’école, il n’y a rien d’autre à faire dans la ville”, ajoute-t-elle. “J’attends les entraînements avec impatience”.
Les modestes cotisations mensuelles des familles –entre 5 000 et 10 000 dinars irakiens (entre 3 et 7 dollars)– permettent de payer la location du terrain.
Pour les autres dépenses, les quatre fondateurs piochent dans leurs fonds propres.
Hala Thomas, qui a participé au lancement de l’Académie, s’est récemment rendue à Bagdad pour rencontrer les responsables publics et obtenir des financements. Elle a eu droit à des promesses, mais rien de concret.
“Nous n’avons pas suffisamment d’argent pour acheter plus de ballons, des tenues ou ce dont on a besoin pour l’entraînement”, déplore cette dame de 55 ans, qui a préféré rester dans sa ville natale plutôt que de rejoindre ses fils aux Pays-Bas.
“Malgré le manque de soutien des institutions sportives, nous avons espoir d’avoir une équipe de football féminin”, s’entête-t-elle.
«Bouffée d’air»
Après une montée en puissance fulgurante en 2014, l’EI avait pris le contrôle d’un tiers de l’Irak, faisant de Mossoul sa “capitale” dans le nord du pays.
Des dizaines de milliers de chrétiens avaient fui la région environnante de Ninive, jadis un haut lieu du christianisme. Certains ont rallié le Kurdistan irakien tout proche, d’autres se sont exilés.
Une nouvelle vague d’exode, venue encore une fois amputer une minorité chrétienne qui depuis deux décennies se réduit comme peau de chagrin avec chaque nouveau cycle de violences.
Forte de plus de 1,5 million de personnes en 2003 avant l’invasion américaine, la communauté ne compte plus aujourd’hui que 400 000 âmes.
A travers la plaine de Ninive, des églises et des monastères détruits et incendiés par les jihadistes ont été restaurés. Mais les défis de la reconstruction restent titanesques dans la province aux infrastructures ravagées.
“Le football c’est une bouffée d’air pour n’importe quelle communauté”, reconnaît Bassem Metti, responsable de quartier. “Il nous fallait quelque chose qui encourage la stabilité de notre quotidien et qui commence à être palpable”.