Les responsables du gouvernement libanais n’ont aucun sens de l’urgence et n’assument pas la responsabilité de la crise économique qui a «brutalement appauvri» la population, a déclaré un envoyé indépendant des Nations unies dans une interview accordée à Reuters.
«Je suis très choqué par le fait que c’est un État qui, s’il n’a pas encore failli, est en train de faillir et que les besoins de la population ne sont toujours pas pris en compte», a indiqué Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, au terme d’une mission de deux semaines consacrée à l’étude de la pauvreté au Liban.
«Ils vivent dans un monde imaginaire, a lancé M. De Schutter. Cela ne présage rien de bon pour l’avenir du pays.»
Au cours de sa visite, M. De Schutter s’est entretenu avec de hauts responsables, dont neuf ministres, le Premier ministre et le président du Parlement.
Une source officielle du bureau du Premier ministre, Najib Mikati, n’a pas fait de commentaire à ce sujet, mais a précisé que M. Mikati a tenu une réunion productive cette semaine avec un autre responsable des Nations unies, le directeur exécutif du Programme alimentaire mondial, David Beasley.
Selon les Nations unies, près des trois quarts de la population de ce pays, autrefois à revenu intermédiaire, sont tombés dans la pauvreté, qui a augmenté en raison d’une crise économique due à des décennies de corruption et de mauvaise gestion.
Les banques ont imposé des contrôles informels sur les retraits et la monnaie a perdu plus de 90% de sa valeur depuis 2019. La Banque mondiale a qualifié cette situation de «dépression délibérée» et la considère comme l’un des pires krachs financiers au monde depuis 1850.
«Il s’agit d’une énorme perte de richesses, qui est pratiquement sans précédent, à l’échelle du pays», a affirmé M. De Schutter, soulignant que les pertes du secteur bancaire libanais, estimées dans un plan gouvernemental de 2020 à environ 83 milliards de dollars (1 dollar = 0,86 euro), devraient être supportées par les actionnaires des banques et les gros déposants et non par les gens ordinaires.
Les pays occidentaux ont proposé leur aide en échange de réformes, mais le Liban est resté sans gouvernement permanent pendant treize mois à la suite de l’explosion meurtrière de Beyrouth en août 2020, et le nouveau cabinet formé en septembre ne s’est pas réuni depuis un mois en raison d’un conflit politique.
M. De Schutter a recommandé la mise en œuvre immédiate des programmes de protection sociale suspendus depuis des mois, une augmentation du salaire minimum et un impôt sur la fortune pour réduire les taux d’inégalité, qui sont les plus élevés au monde.
Son rapport final sera publié au début de l’année 2022.
Le rapporteur spécial a ajouté que si le pape Jean-Paul II a un jour qualifié le Liban de «message» de coexistence sectaire, ce pays est devenu depuis «un avertissement pour le monde» sur les résultats d’une «alliance très malsaine entre des hommes d’affaires très riches et l’élite politique».