L’Allemagne devrait livrer vendredi des chiffres de croissance en berne pour le second trimestre, assombri par les répercussions de la guerre en Ukraine. Une récession semble inévitable dans les prochains mois.
Mais au-delà du trou d’air conjoncturel, c’est le modèle économique de la première puissance européenne qui vacille, estiment les experts.
Fini l’énergie bon marché
“La guerre en Ukraine met fin au modèle économique allemand tel que nous le connaissions”, observent les analystes de la banque ING, citant “importations d’énergie bon marché et exportations industrielles dans un monde de plus en plus globalisé”.
Moins cher à produire et à transporter, le gaz acheté à la Russie a contribué durant des décennies à la prospérité de l’industrie allemande, qui consomme 30% du gaz brûlé en Allemagne.
Plus de la moitié du gaz importé provenait, avant la guerre en Ukraine, de Russie. Cette part est passée depuis à 35%.
Pour s’affranchir totalement du gaz russe –objectif que s’est fixé Berlin pour mi-2024–, l’Allemagne va recourir à des sources d’énergie plus onéreuses — gaz de Norvège, des Pays-bas, gaz naturel liquéfié des Etats-Unis ou du Qatar — ou plus irrégulières avec l’énergie solaire ou éolienne.
– Mondialisation grippée
“Nation exportatrice, l’Allemagne bénéficie plus que les autres du libre-échange. Mais c’est précisément ce qui est en danger”, s’inquiétait en juillet le quotidien Süddeutsche Zeitung.
La pandémie et la guerre en Ukraine ont révélé les vulnérabilités des économies lorsque les chaînes d’approvisionnement se grippent et que des composants cruciaux, tels que les semi-conducteurs, ne peuvent plus être importés.
L’industrie allemande a été particulièrement touchée, en premier lieu le secteur automobile.
Après la cuisante déconvenue russe, la dépendance à la Chine inquiète Berlin : elle n’est “pas saine non plus”, a reconnu le ministre des Finances, le très libéral Christian Lindner.
La Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Allemagne. Les échanges entre les deux pays ont encore augmenté de 15,1% sur un an en 2021.
“C’est potentiellement un nouveau risque”, explique l’économiste Claudia Kemfert. Pas aussi important que pour la Russie, selon elle, “mais nous devons nous appuyer davantage sur une économie nationale et renforcer la résilience”.
Cherche salariés désespérément
Occulté par les répercussions de la guerre en Ukraine, le manque de personnel est le problème numéro un de nombreuses entreprises dans un pays à la population vieillissante.
En plus du million de postes vacants actuellement, “l’Allemagne aura besoin de 500 000 travailleurs supplémentaires chaque année au cours des dix prochaines années”, affirme Marcel Fratzscher, président de l’Institut de recherche économique (DIW). Le spécialiste y voit “une menace pour la compétitivité et la prospérité du pays”.
L’équipementier Continental a lancé un cri d’alarme en juillet : l’Allemagne “a un besoin urgent d’une immigration contrôlée”.
Choc d’inflation
La peur de l’inflation, revenue par surprise après des années de prix atones, n’épargne aucun pays de l’UE.
Mais en Allemagne, le traumatisme de l’hyperinflation des années 1920 continue de façonner le débat public.
L’obsession pour la stabilité des prix est aussi liée “au maintien d’une industrie compétitive et d’une nation d’épargnants”, rappelaient récemment deux économistes de l’OFCE.
Au pays de la modération salariale, les revendications se multiplient : le mois de juillet a connu le plus long mouvement social dans les ports allemands depuis 40 ans.
Le syndicat IG Metall réclame des hausses de salaires de 8% pour 3,8 millions de salariés du secteur industriel, les plus fortes depuis 2008.
Et le magazine Spiegel de s’interroger : “Existe-t-il une menace de mouvement des gilets jaunes en Allemagne ?”. “Si la classe moyenne s’effondre, tout peut s’effondrer”, s’inquiète le magazine.
Mirage de la rigueur
Revenir l’an prochain à l’orthodoxie budgétaire, pilier du modèle allemand ? L’objectif martelé par le ministre des Finances est “aussi surprenant qu’irréaliste”, préviennent les économistes d’ING.
Après avoir fait sauter le tabou de la rigueur durant la pandémie de coronavirus, l’Allemagne dépense de nouveau des milliards pour soutenir ménages et entreprises face à la crise énergétique, tandis que sa transition énergétique accélérée implique des investissements colossaux.
“L’Allemagne aura besoin de temps et d’argent”, prévient ING, pour mettre en œuvre des “investissements et des changements structurels aussi déterminés qu’elle l’a exigé des autres pays de la zone euro dans le passé”.