Les rebelles du Tigré ont accusé samedi l’Ethiopie d’avoir tué des dizaines de personnes dans un camp de déplacés du nord du pays en guerre, au moment où le gouvernement montrait des signes d’ouverture en faveur d’une “réconciliation nationale”.
Plusieurs personnalités de l’opposition éthiopienne ont été libérées samedi, après une amnistie inattendue décrétée la veille par le gouvernement à d’importants détenus politiques, dont des dirigeants du parti tigréen.
L’annonce surprise de l’amnistie est intervenue après un appel à “la réconciliation nationale” lancé vendredi à l’occasion de la célébration du Noël orthodoxe par le Premier ministre Abiy Ahmed, dont le pays est déchiré depuis 14 mois par un conflit entre le gouvernement fédéral et les rebelles du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF).
Mais samedi, le porte-parole du TPLF, Getachew Reda, a déclaré sur Twitter qu’une attaque de drone contre un camp de déplacés “a coûté la vie à 56 civils innocents”, selon un bilan provisoire, dans la petite ville de Dedebit, dans le nord-ouest du Tigré.
Ces allégations n’ont pas pu être vérifiées de manière indépendante et les responsables du gouvernement éthiopien n’ont pas répondu pour le moment aux sollicitations de l’AFP. L’accès au Tigré est restreint et les communications restent coupées dans la région.
Toutefois, un responsable de l’hôpital principal de Mekele, la capitale du Tigré, a déclaré à l’AFP que l’hôpital de la ville de Shire, où les victimes ont été évacuées, avait fait état de 55 morts et 126 blessés.
M. Getachew n’a pas précisé quand l’attaque avait eu lieu.
Trois autres personnes ont été tuées dans un raid aérien sur un camp de réfugiés de la région, avait rapporté l’ONU cette semaine.
Les combattants du TPLF se sont repliés fin décembre dans leur fief de la région la plus septentrionale du Tigré face à une offensive militaire des forces gouvernementales, qui ont repris le contrôle d’une série de villes stratégiques.
Les affrontements ont connu une accalmie depuis la retraite du TPLF, bien que les rebelles accusent le gouvernement de continuer à mener des frappes meurtrières de drones sur le Tigré.
Unité
Le TPLF a pris les armes depuis que le Premier ministre Abiy Ahmed a envoyé en novembre 2020 l’armée fédérale au Tigré pour en destituer les autorités régionales – issues du TPLF – qui contestaient son autorité et qu’il accusait d’avoir attaqué des bases militaires.
Une contre-offensive du TPLF a permis aux rebelles de reconquérir fin juin 2021 l’essentiel de la région et de progresser dans celles voisines de l’Amhara et de l’Afar.
Ils ont affirmé en novembre être arrivés à 200 km d’Addis Abeba.
Le conflit a fait des milliers de morts. Le Tigré, soumis selon l’ONU à un “blocus de facto” de l’aide humanitaire, manque de nourriture et de médicaments.
M. Abiy, lauréat du prix Nobel de la paix, a également appelé vendredi à “l’unité”. Mais samedi il a de nouveau fustigé les “ennemis étrangers et internes”, qualifiant le TPLF de “serpents”.
Selon le gouvernement, l’objectif de l’amnistie est “d’ouvrir la voie à une solution durable aux problèmes de l’Ethiopie”. “La clé d’une unité durable est le dialogue”, ajoute son communiqué, où sont énumérés les noms de plusieurs dirigeants de l’opposition, mais aussi de membres importants du TPLF.
Geste important
Il n’était pas possible de savoir si le gouvernement avait proposé des négociations au TPLF, parti qui a dirigé de fait l’Ethiopie pendant trois décennies jusqu’à ce que M. Abiy prenne le pouvoir en 2018, et désormais considéré comme un groupe “terroriste” par Addis Abeba.
L’amnistie a été saluée par les Nations unies et l’Union africaine, fers de lance des efforts internationaux pour mettre fin au conflit.
Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a déploré l’attaque du camp des déplacés, estimant que “toutes les parties doivent saisir l’occasion de mettre rapidement fin au conflit et d’entamer le dialogue”, a-t-il ajouté.
Tedros Adhanom Ghebreyesus, le patron de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), lui-même originaire du Tigré, a ajouté sur Twitter : “Après plus d’un an de siège, sept millions de personnes au Tigré (…) continuent de subir des attaques de drones (…) Maintenant plus que jamais, la paix et l’accès à l’acheminement de l’aide humanitaire doivent rapidement remplacer la violence, la mort.”
Le nombre de détenus libérés n’est pas connu pour le moment. Le parti Balderas a annoncé la libération de son fondateur, Eskinder Nega, une figure de l’opposition.
Dans la liste des personnalités nommées figure aussi l’ancien magnat des médias Jawar Mohammed, membre du Congrès fédéraliste oromo. Ancien allié de M. Abiy – lui-même oromo, l’ethnie la plus nombreuse du pays -, M. Jawar était devenu un de ses plus farouches détracteurs.
Comme M. Eskinder, M. Jawar avait été arrêté en juillet 2020 avec d’autres figures de l’opposition, après une flambée de violences déclenchée par le meurtre, à Addis Abeba le mois précédent, d’un très populaire chanteur, Hachalu Hundessa.