Les Tunisiens votent sur une Constitution donnant «tous les pouvoirs» au président – La Tunisie, confrontée à de graves difficultés économiques, aiguisées par la Covid et la guerre en Ukraine dont elle dépend pour ses importations de blé, est aussi très polarisée depuis que le président s’est emparé de tous les pouvoirs il y a un an, arguant de l’ingouvernabilité du pays.
La participation est le principal enjeu du référendum, où le oui a de fortes chances de l’emporter puisque les grands partis d’opposition ont appelé leurs électeurs à s’abstenir de voter.
Plus de 6% des 9,3 millions d’inscrits avaient voté à 8H30 GMT, trois heures et demi après l’ouverture, un chiffre “encourageant”, a estimé le président de l’autorité électorale Isie, Farouk Bouasker, rappelant la très faible participation aux précédents scrutins à la même heure. Les premiers résultats sont attendus au plus tôt mardi.
Dans les bureaux de vote du centre de Tunis, l’affluence était en effet supérieure aux prévisions, selon les journalistes de l’AFP.
“Nous avons un grand espoir dans le 25 juillet. La Tunisie va prospérer à partir d’aujourd’hui”, a dit à l’AFP Imed Hezzi, un serveur de 57 ans, montrant un doigt teinté à l’encre bleue, système mis en place pour éviter les fraudes.
Mongia Aouanallah, une retraitée de 62 ans, attend “une vie meilleure, pour que les enfants de nos enfants vivent mieux” car “tout est catastrophique”. Ridha Nefzi, un travailleur journalier de 43 ans, est du même avis. Pour lui, “le pays est rentré dans le mur. Nous avons au moins le moyen de réparer. Maintenant commence une nouvelle page”.
Après avoir voté, le président a appelé les électeurs à approuver sa Constitution pour “établir une nouvelle République fondée sur la vraie liberté, la vraie justice et la dignité nationale”.
La nouvelle loi fondamentale instaure un régime hyper-présidentiel accordant de vastes pouvoirs au chef de l’Etat, en rupture avec le système parlementaire en place depuis 2014.
Le président désigne le chef du gouvernement et les ministres et peut les révoquer à sa guise. Il peut soumettre au Parlement des textes législatifs qui ont “la priorité”. Une deuxième chambre devant représenter les régions est établie, en contrepoids à l’Assemblée des représentants (députés) actuelle.
L’opposition et de nombreuses ONG ont dénoncé une Constitution “taillée sur mesure” pour M. Saied, et le risque de dérive autoritaire d’un président n’ayant de comptes à rendre à personne.
Sadok Belaïd, le juriste chargé par M. Saied d’élaborer la nouvelle Constitution, a désavoué le texte final, estimant qu’il pourrait “ouvrir la voie à un régime dictatorial”.
«Tous les pouvoirs»
L’opposition, aussi bien le mouvement d’inspiration islamiste Ennahdha, bête noire de M. Saied que le Parti destourien libre d’Abir Moussi, ont appelé au boycott du scrutin, invoquant un “processus illégal” et sans concertation.
Personnage complexe, le président Saied exerce le pouvoir de manière de plus en plus solitaire depuis un an.
Agé de 64 ans, M. Saied considère sa refonte de la Constitution comme le prolongement de la “correction de cap” engagée le 25 juillet 2021 quand, arguant des blocages politico-économiques, il a limogé son Premier ministre et gelé le Parlement avant de le dissoudre en mars, mettant en péril la seule démocratie issue du Printemps arabe.
Le nouveau texte “donne presque tous les pouvoirs au président et démantèle tous les systèmes et institutions pouvant le contrôler”, a dit lundi à l’AFP Said Benarbia, directeur régional de la Commission internationale des juristes CIJ. Il lui donne “davantage de pouvoirs que la Constitution de 1959”, élaborée sous Habib Bourguiba, en supprimant la séparation des pouvoirs et “un pouvoir judiciaire subordonné à l’exécutif”.
“Aucun des garde-fous qui pourraient protéger les Tunisiens de violations similaires au (régime) Ben Ali n’existe”, selon M. Benarbia convaincu que la nouvelle Constitution “codifie l’autocratie”.
Pour l’analyste Youssef Cherif, des espaces de liberté restent garantis mais la question d’un retour à un régime dictatorial similaire à celui de Zine el Abidine Ben Ali, pourrait se poser “dans l’après Kais Saied”.
Pour la majeure partie de la population, la priorité est ailleurs: une croissance poussive (autour de 3%), un chômage élevé (près de 40% des jeunes), une inflation galopante et l’augmentation du nombre de pauvres à 4 millions de personnes.
La Tunisie, au bord du défaut de paiement avec une dette supérieure à 100% du PIB, négocie un nouveau prêt avec le FMI qui a de bonnes chances d’être accordé mais exigera en retour des sacrifices (baisse des subventions aux produits de base, notamment), susceptibles de provoquer une grogne sociale.