Vivre, Le compte à rebours de Boualem Sansal – Vivre, Le compte à rebours de Boualem Sansal
Publié en janvier 2024 chez Gallimard, le nouveau roman de Boualem Sansal, Vivre, Le compte à rebours, risque de vous faire manquer d’air. Paolo fait partie d’un groupe, les Appelés, qui trouveront refuge dans un vaisseau extraterrestre afin de fuir la planète Terre qui, dans 780 jours, connaîtra sa destruction. En utilisant le thème récurrent de la fin de notre monde sur Terre, Boualem Sansal pointe du doigt les maux qu’il perçoit de notre société contemporaine. Prenez une grande inspiration avant de vous plonger entre ces lignes.
Êtes-vous déjà tombé·e sur de vieux ouvrages de science-fiction ? Je ne parle pas des rééditions au poil soyeux qui poussent des soupirs d’aise dans les rayons des librairies, mais plutôt de ces livres aux couvertures usées, voire au goût douteux. Ces livres qui attendent patiemment sur les étagères des magasins de livres de seconde main. En lisant leurs lignes, vous pouvez vous promener dans les imaginaires du futur d’un temps passé : comment les écrivain·es des années 1950 imaginaient notre quotidien ? À coup de monades urbaines, de machines sentientes ou de colonisation spatiale ? Et aujourd’hui, que reste-t-il de ces imaginaires passés ? Penchons-nous sur le nouveau roman Vivre, Le compte à rebours de Boualem Sansal, publié chez Gallimard en janvier 2024, qui m’a laissé un étrange goût de passé dans la bouche.
Dans Vivre, Le compte à rebours, nous suivons Paolo, enseignant de mathématiques à l’université, qui a fait un rêve étrange : dans 780 jours, la vie des humains prendra fin sur Terre. Il fait partie des Appelés, un groupe de personnes choisies par une entité extraterrestre qui leur enverra, à la fin de ce compte à rebours, un immense vaisseau spatial pour quitter la planète en toute sécurité. Pertubré par ce rêve étrange, Paolo rencontre par un heureux hasard un autre Appelé, Jason. Ensemble, ils vont enquêter sur l’existence d’autres d’entre eux et se pencher sur la douloureuse tâche qui leur a été confiée : choisir qui des humains non-Appelés (les Élus) partiront avec eux dans ce vaisseau, ne pouvant contenir que la moitié de la population mondiale actuelle.
« On voit mal un peuple pratiquant une langue brutale dans ses intonations et vulgaire dans ses respirations énoncer de grands principes de convivialité et de modération, mais pourquoi pas. L’âne braie horriblement et pendule si vulgairement du manche à casser des glands mais il est le plus délicieux des animaux. »
Boualem Sansal, écrivain algérien de langue française, est connu pour ses romans très critiques envers le pouvoir algérien (Le Serment des barbares publié en 1999), ainsi qu’envers l’islamisme et sa présence en Occident. Il s’était déjà essayé à la science-fiction avec son roman 2084, grand prix du roman de l’Académie française de 2015, pastiche du 1984 d’Orwell. Cette fois-ci, il s’est engouffré à nouveau dans cette voie avec Vivre, Le compte à rebours et l’issue est malheureusement loin d’être une réussite.
L’auteur emprunte un thème classique de la science-fiction qui infuse maintenant la littérature blanche depuis plusieurs années : la fin de notre Terre. Alors, si dans l’obscure nouvelle de 1953 « One in three hundred » de l’auteur écossais J.T. MacIntosh (dont l’histoire est fort similaire au roman de Sansal), la question climatique ne se posait pas encore, elle est pourtant sur toutes les lèvres en 2024. On se retrouve ainsi face à deux auteurs qui, à 70 ans d’écart, traitent de l’exact même thème tout en évacuant la question de l’habitabilité de la planète. Alors, quel est le propos de ce nouveau roman ?
Si l’auteur s’empare de ce thème si utilisé, c’est principalement pour servir de squelette sur lequel son narrateur, Paolo, vient greffer tous les maux de notre monde : la bureaucratie européenne, l’écriture inclusive, le « woke américain », les conséquences du « corona chinois », la dégradation de la société occidentale, sans parler des religions. Tout nouveau personnage qui entre dans le récit est l’occasion pour l’auteur de noircir des pages de clichés liés à quelque sujet polémique que ce soit, si bien que l’intrigue patine. Malgré le temps qui défile, rapprochant toujours plus les protagonistes du jour J, aucune sensation d’oppression ne vient de ce compte à rebours, tant nous sommes noyé·es sous le discours manichéen du personnage principal. Le mépris qui transpire de ses propos est lassant et n’apporte rien à la trame narrative, hormis l’envie de refermer le roman d’un coup sec.
« Autre jolie nouvelle à noter : j’ai désamorcé le procès en racisme blanc qui m’était intenté en publiant une lettre dans L’Etudiantéclairé.fr, le journal en ligne des étudiants de l’université. Elle a fait miracle. De proscrit promis à la charrette elle a fait de moi le wokiste de l’année, le meilleur Blanc anti-Blancs qui soit et le champion de l’écriture inclusive. […] C’était pompeux à souhait, et un brin collabo, mais les wokistes adorent se battre la coulpe devant leur miroir pour mieux se vomir. Ne pas les contrarier, il faut au contraire les pousser au ridicule qui tue. »
Boualem Sansal dépeint notre société, et son humanité, comme une fange dans laquelle s’ébattent les restes épars d’une civilisation en morceaux, tout cela à coup de stéréotypes assez simplistes. Entre Jason, l’américain entièrement voué à son travail et qui consomme du Coca-cola, Samuel, le survivaliste vegan qui « boit de l’eau de source à la source et pas de l’eau morte du robinet ou prisonnière d’une bouteille en plastique recyclé » et Camille Mo, l’universitaire woke mais sympa, chaque stéréotype est bien rangé dans sa boite et moqué au passage. Le propos de l’auteur dérape à de nombreuses reprises et atteint son point culminant lorsque les Appelés choisissent les Élus qui pourront monter dans le vaisseau avec eux, car « C’[est] l’occasion d’un grand ménage de printemps ».
« À eux seuls, les Chinois (1,4 milliard d’habitants), les Indiens (1,4 milliard), les musulmans (1,8 milliard), les Africains (1,3 milliard) rempliraient le vaisseau à ras bord, qu’avec leur merveilleuse natalité ils exploseront à la prochaine nidification. Ils accaparent déjà 75% de la population mondiale, estimée à 7,8 milliards. Combien d’Élus parmi eux ? Pas beaucoup, je le crains pour eux. »
C’est en apnée que j’ai lu ces 234 pages, reprenant mon souffle à quelques reprises afin de ne pas me noyer sous les vagues de mépris. Durant la lecture, je ne savais plus si j’étais face à un roman futuriste ou face au feed d’un quelconque réseau social rempli de publications réactionnaires et complotistes. Il m’aurait suffit d’allumer une chaîne d’info en continu pour être abreuvée des exacts mêmes discours.
« […] en France, on se dit tous Français mais personne ne sait plus pourquoi nous le sommes et en vertu de quoi nous le restons alors que notre pays a virtuellement disparu de la carte, avalé par l’Europe, l’Afrique, l’Algérie, la Chine, le Qatar. »
Face à de tels conflits, il y a effectivement la tentation de partir loin à bord d’un vaisseau fantasmé. Et c’est dommage de s’emparer ainsi du genre de la science-fiction pour porter un tel discours sur notre société, à coup de clins d’œil appuyés à un·e lecteur·rice qui serait incapable de saisir la moindre subtilité. Il est difficile de lire ce roman autrement qu’une fuite en avant stérile où l’imaginaire fait du surplace. Alors que la science-fiction est ce genre de tous les possibles, n’est-il pas plus porteur d’aiguiser nos mots pour renouveler nos manières de vivre ? Car je doute fort qu’une entité extraterrestre vienne nous extraire de notre triste sort, et il faudra donc faire avec la complexité du monde et de ses habitant·es, les pieds bien sur Terre.